PREFACE à la traduction Françoise.

CET Ouvrage n’est point entiérement inconnû; un* Auteur Anglois, dans l’agré­able récit de ses voïages, a fait mention d’une vie de NADER CHAH, écrite en Persan; mais, il ajoute, qu’il est peu probable qu’elle paroisse jamais en Europe. En effet, pour que le public fût enrichi de ce rare présent, il a fallû que le destin le fit tomber entre les mains d’un Roi distingué par son amour pour les Belles Lettres, & par la délicatesse de son goût; ce qui n’étoit pas un bonheur facile à prévoir. Chargé par les ordres de ce Monarque de traduire & de publier ce manuscrit, je desirerois de mon côté pouvoir satisfaire le lecteur, en lui donnant une parfaite connoissance de l’auteur que je traduis; mais, mes recherches à cet égard aïant été vaines, il faut qu’il se contente de mon opinion. J’avoüe d’abord, que je ne suis pas de l’avis de l’écri­vain que je viens de citer, qui annonce mon auteur comme un général ou un commandant; il me paroit plutôt un homme d’un savoir pro­fond, d’une éloquence agréable, & parfaitement versé dans la litérature orientale, ainsi que dans la poësie de son païs. Ses notions sur l’art militaire, la maniére dont il décrit les batailles ne convien­nent nullement à un guerrier; elles s’accordent bien mieux avec le titre de Mirza, qui signifie homme d’étude, lorsqu’il précede le nom propre; celui de Khan, qui s’y trouve joint, prouve seule­ment que le savoir, en Asie, est le chemin de la fortune, aussi bien que celui de la gloire. Comme il n’y a que douze ans que cette histoire a été écrite, il est probable que Mirza Mohammed Mahadi Khan de Mazenderan vit encore, à moins qu’il n’ait péri dans quelque danger semblable à ceux qu’il décrit, & qui étoient si frequens dans sa patrie aux tems malheureux qu’il déplore: cependant le récit de ces rebellions perpétuelles, souvent compliquées, & renouvellées aussitôt qu’appaisées, a quelque chose de sec & de fati­guant. L’auteur l’a senti lui-même; ainsi, lorsqu’il n’a pas eû des événemens grands & frappants à raconter, il a tâché de faire supporter la minutie, & même quelquefois l’obscurité, de sa narration par des morceaux de poésie Persanne aussi bien choisis que placés. Ces essais de Rhétorique orientale sont sur tout admirables dans les descriptions variées du printems, qu’il donne au commencement de chaque année, & dans lesquelles, en géneral, il fait allusion à ce qui s’y est passé de plus remarquable. Cet ouv­rage doit naturellement intéresser le public, & attacher le lecteur; les faits en sont si récens, qu’ils ne sauroient être effacés de notre mémoire, & n’aïant pas perdû leur degré de chaleur par une froide recherche dans des siécles reculés, ils ne se présentent à nous qu’avec ces charmes, & cette importance que la verité & l’authenticité donnent aux moindres événemens.

Après avoir ainsi rendû justice à mon auteur, je serai plus concis sur ce qui me regarde moi-même & ma traduction. Je dois d’abord assurer le lecteur, que j’ai tâché de lui donner une idée exacte de l’original Persan, en le traduisant aussi literalement qu’il m’a été possible; en cela j’ai suivi & mes ordres & mon inclination. Nous avons asséz d’histoires Asiatiques habillées à l’Eu­ropéene, j’ai laissé à celle-ci ses ornemens natu­rels: je n’ai orné aucun détail; j’ai suivi l’élé­vation ou l’abaissement du style, comme je les ai trouvés. Le peu de mots que je puis avoir ajoutés n’ont été que pour écarter des ambiguités attachées à la différence d’idiomes; je n’ai retranché que dans les endroits où les allusions étoient ou trop absurdes pour nous; que quand les expressions à force d’être outrées devenoient ridicules à l’imagination calme de nos climats. Si j’ai hazardé de donner une traduction rimée des vers que j’ai trouvé dans le corps de cette Histoire, j’en ai ajouté une litérale à la fin de chaque partie.

On trouvera dans mes Notes un index Géo­graphique des principales villes & provinces dont cet ouvrage fait mention, mais j’ai été forcé de passer sous silence ce qui concerne plusieurs tribus, villages, & forteresses, dont on ne voit nulle trace dans les livres de géographie orientale que j’ai consulté.

Quant au traité sur la poésie Asiatique que j’ai ajouté à cette histoire, comme une espece de commentaire sur le goût poétique dans lequel élle est écrite, s’il s’y trouve quelques erreurs, j’en appelle au jugement impartial du lecteur savant; il considerera sans doute combien il étoit difficile d’entendre parfaitement des Odes dont le ton sublime & chargé d’ornemens embarrasse même ceux dans la langue desquels elles sont écrites, surtout étant privé du secours d’un bon commentaire, si nécessaire dans ces occasions. Au reste, comme il m’a été prescrit d’écrire cet ouvrage en François, j’espére qu’on excusera la témérité que j’ai eû en entreprenant une tra­duction si difficile dans une langue qui n’est pas ma langue naturelle. Je ne dirai pourtant point avec le Romain, qui publia un ouvrage Grec, que j’ai commis des fautes volontaires, afin quelles fissent connoitre quelle étoit ma patrie; au con­traire, j’avoue que je n’ai rien oublié pour me mettre en état d’offrir un style correct; que j’ai reçû avec empressement tous les avis qui m’ont été donnés à ce sujet, & accepté avec reconnois­sance les secours qui m’ont été offerts.

A Londres
1770.